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« La lutte identitaire a remplacé la lutte des classes »

Président du Conseil économique, social et environnemental, Jean-Paul Delevoye était l'invité des maires du Loiret, réunis en assemblée générale à Gien.

Jean-Paul Delevoye : « Un système qui n'inclut pas exclut. »
Jean-Paul Delevoye : « Un système qui n'inclut pas exclut. »
© Loiret agricole et rural

« Nous sommes à un virage de notre vie politique, marquée par une radicalisation et une fracture de plus en plus forte entre nos élites et les citoyens » : c'est en ces termes que Jean-Paul Delevoye a débuté son intervention. Le président du Conseil économique, social et environnemental (CESE) participait, le samedi 21 juin à Gien, à l'assemblée générale de l'Association des Maires du Loiret. L'orateur fit part d'une conviction : « La faiblesse potentielle des États dans une économie mondialisée. Le scénario de Jacques Attali est en marche : la disparition des États. La stabilité de la République passera par des territoires forts. » Clivage ou compromis : les élus locaux détiendraient la solution.

« Vous devez être des créateurs d'espérance. » Or l'espérance collective a disparu : la chute du mur de Berlin a fait tomber l'espérance communiste. La disparition de Lehman Brothers a porté atteinte à une certaine conception du libéralisme. La religion ? Ses fondements sont bafoués par la science et l'intégrisme. « Quant à la politique, elle a laissé la place à la peur. » Cela se traduit par la désignation de boucs émissaires : l'Arabe, le Juif, le patron, etc. « Nous sommes des procureurs et, demain, nous deviendrons des victimes. Un système qui n'inclut pas exclut. » Et dans ce type d'évolution, les organisations parallèles de type mafieux prennent toute leur place.

« Nos concitoyens ne souffrent pas d'un excès de politique mais d'un excès de politicien de posture. Toutes les questions qui sont devant nous sont politiques et les élus peuvent soit nourrir le débat soit instrumentaliser celui-ci. Il y aura une espérance si nous savons poser les bonnes questions. Notre société n'est pas en crise mais en mutation profonde. » Les aspects numériques et énergétiques en sont l'illustration. « Dans toute évolution, seuls ceux qui se montrent réactifs et qui sont dotés d'une capacité d'anticipation survivent. » Or notre pays avancerait à contre-sens : « Plus il faut être réactif, plus on élargit le temps. » Une manière de fustiger le poids de la réglementation...

Créer une dynamique collective

Jean-Paul Delevoye a identifié trois grands problèmes auxquels le monde était confronté. Premièrement, un choc des territoires. L'enjeu : la localisation des ressources et la production de valeur ajoutée. Deuxièmement : un choc générationnel. L'enjeu : le ressort démographique. Troisièmement : un choc identitaire. L'enjeu : le vivre ensemble face à des individus de plus en plus hétérogènes. « Les élus locaux doivent répondre à ces difficultés en se posant la question suivante : qu'est-ce qui sert la France ? La compétition des territoires remet en cause nos grands principes républicains. Qui croit encore en l'égalité des territoires ? Égalité ne veut pas dire égalitarisme. Nous devons tenir un discours de vérité et quitter les postures. » Selon le président du CESE, dans les années qui viennent, l'Union européenne aura besoin de cinquante millions d'étrangers pour équilibrer sa population active. « Le monde de l'entreprise est capable de réussir cette formidable hétérogénéité alors que le monde politique et administratif assimile tout progrès à un risque. »

L'orateur ne pouvait occulter la réforme territoriale : « L'enjeu : mettre en réseau les intelligences et les capacités d'initiatives locales. Le périmètre de vos défis doit déterminer celui de vos réponses. » Le projet tel qu'il est conçu serait une aberration : « Celui-ci doit s'accompagner d'une réforme de l'État et y associer les fonctionnaires. Ne pas l'avoir fait constitue une erreur politique de la part du gouvernement actuel et des gouvernements précédents. Aujourd'hui, la démocratie ne peut pas exister sans l'appropriation des enjeux par les citoyens : ces derniers ne contestent pas la légitimité des élus mais ils veulent être coproducteurs du futur. Être président de communauté de communes ou maire ne consiste pas à être supérieur à ses concitoyens mais à être responsable d'eux. À l'avenir, la décision politique sera unique mais son élaboration sera collective. » Les élus locaux auront donc la responsabilité de créer cette dynamique collective susceptible d'impulser une force de décision. Sinon, il y aura un risque de blocage.

La conséquence de choix politiques

D'ici une trentaine d'années, 2,5 milliards de personnes feront partie de la classe moyenne et 10 % d'entre elles voudront visiter la France, permettant à celle-ci de multiplier par quatre son activité touristique. « Or nous ne sommes pas prêts. La France a sous-fiscalisé le consommateur et surfiscalisé le capital et l'entreprise : des choix politiques faits il y trente ou quarante ans. Si on ne révise pas le pacte financier entre l'État et les collectivités locales, nous risquons l'asphyxie. » À l'échelle de la planète, le montant des fonds de pension s'élève à 30.000 milliards de dollars. Des capitaux qui représentent 150 % du Produit intérieur brut aux Pays-Bas, 112 % en Grande-Bretagne, 108 % aux États-Unis et seulement 8 % en France. Pourtant, dans notre pays, il existe une épargne privée. « En France, nous avons peur des fonds de pension. Conséquence, nos entreprises sont sujettes à des Offres publiques d'achats et inutile de pleurer : c'est la conséquence de choix politiques. »

« Les maires ne sont pas seulement là pour gérer mais également pour éveiller les consciences » a déclaré le président du Conseil économique, social et environnemental. Depuis la fin des années 1970, la classe moyenne française, ciment de la cohésion sociale en période de croissance, a régressé au profit des milieux aisés et populaires. « Cela a favorisé le développement du populisme. Si vous vous aidez à poser les bonnes questions, n'ayez pas peur des capacités des citoyens à apporter les bonnes réponses. La lutte identitaire a remplacé la lutte des classes. Nos élites ont perdu la confiance du peuple. Les élus locaux, eux, conserveront du crédit aux yeux des citoyens s'ils ont une vision et un projet. Sans cela, vous ne pourrez pas mobiliser les énergies citoyennes susceptibles d'apporter des réponses républicaines. »

Au fil des interventions : ils ont dit...

Frédéric Cuillerier, président de l'AML : La réforme des rythmes scolaires génère un coût moyen par enfant estimé à au moins 150 EUR compensé par l'État à hauteur de seulement 50 EUR, soit un milliard d'euros supplémentaires à la charge des communes de France. Si tous les maires ont l'obligation d'appliquer la réforme des rythmes scolaires en ce qui concerne les cinq jours de classe, ils disposent d'une relative liberté quant à l'organisation même des activités périscolaires, qui n'ont pas de caractère obligatoire. Autre charge nouvelle : le transfert, à compter du 1er juillet 2015, de l'instruction des permis de construire aux communautés de communes de plus de dix mille habitants. Soit un coût de l'ordre de 7.000 à 10.000 EUR pour mille habitants sans aucune compensation financière. Le Fonds de péréquation intercommunal et communal met à la charge des communes dites riches l'obligation d'aider les communes dites défavorisées alors qu'il appartient à l'État d'assurer le bon équilibre des ressources financières entre territoires. Mesdames et Messieurs les parlementaires, un moratoire s'impose sur ce fonds de péréquation afin de redonner un peu de souffle à nos communes et intercommunalités ! (...) Je rappelle les axes majeurs de la réforme territoriale : diminution du nombre de régions de vingt-deux à quatorze dans des conditions qui alimentent le débat ; révision de la carte intercommunale ; suppression des Conseils départementaux à l'horizon 2021 et suppression de la clause générale de compétence pour les régions et les départements. Ma préférence va à une grande région centrale tournée vers l'Ouest allant de Sancerre à Angers, irriguée par la Loire et ses affluents et solidaire des territoires moins favorisés au Sud : une grande région Val de Loire.

Éric Doligé, sénateur du Loiret et président du Conseil général : La nouvelle grande région, telle qu'elle est conçue, se composera de trois régions et de treize départements : la proximité disparaîtra. Au Sénat, nous allons revenir sur ce texte et modifier le périmètre dessiné : d'autres régions ne voulant pas de nous, ce sera facile ! Travailler sur un axe ligérien plutôt que garonnais : ce serait cohérent pour Orléans. Dans le département du Loiret, il y a cinquante-sept collèges. À l'échelle de la grande région, il y aurait cinq cent quatre-vingts établissements : comment gérer cela en proximité avec les élus ? Concernant la compétence économique, tout serait centralisé au niveau de la région. Or, au fil du temps, le Conseil général a mené un travail avec les autres collectivités locales ayant abouti à l'installation de trois cents entreprises : quid de l'avenir ? On assiste à une recentralisation phénoménale ! J'espère qu'on prendra la mesure des choses : les départements ont un rôle à jouer. Souvent, ils se regroupent sur certaines activités : par exemple, les centrales d'achats. Les départements ont la capacité de faire des économies sans passer par une loi contraignante. Nous allons nous battre pour sauver la proximité et la ruralité : au-delà de 2025, le département sera toujours là.

Pierre-Étienne Bisch, préfet du Loiret et de la région Centre : Un grand nombre de communes a pour corollaire un grand nombre de citoyens dévoués sur le terrain démocratique. En parallèle, depuis 1960, nous assistons à un développement des intercommunalités : les faire passer à vingt mille habitants marque une nouvelle étape. Plus leur taille augmentera, plus nous aurons à respecter la proximité en leur sein : c'est le principe de l'individualité de chaque commune. L'intercommunalité est une réponse française à la simplification. Dans le département du Loiret, nous aurons à remettre la maille sur le métier de notre intercommunalité. Certains sont déjà sur les rails. D'autres pas. Mais ce sera plus facile d'augmenter leur taille que se limiter à cinq mille habitants. (...) Le périmètre départemental, d'un point de vue géographique, a été réaffirmé comme important et les services de l'État devront accompagner les opérations qui sont en cours. L'administration doit faire des économies importantes, notamment en personnel : cela pose la question du maintien de certains services publics dans les départements à faible population mais ce n'est pas le cas du Loiret. (...) Mesdames et Messieurs les maires, soyez pénétrés de ce que vous devez faire : vous avez mené un combat pour être élus ! Par l'intermédiaire de l'AML, ayez une posture de formation ! Il faut avoir l'humilité de dire qu'on ne sait pas tout et qu'il y a beaucoup de choses à apprendre : qu'il s'agisse des aspects technocratiques ou de savoir parler en public. En septembre, la Préfecture ouvrira un site dédié aux élus locaux : celui-ci pourra servir de discussion avec l'État.

Frédéric Cuillerier succède à Xavier Deschamps

Maire de Saint-Ay depuis trente-quatre ans et membre du comité directeur de l'Association des Maires du Loiret (AML) depuis trente et un ans, dont treize en qualité de vice-président, Frédéric Cuillerier est le nouveau président de l'AML. Il a été élu à l'unanimité lors de la réunion du comité directeur de la structure, le  mercredi 18 juin. L'intéressé succède à Xavier Deschamps, président de l'AML depuis 2004 et maire de Marcilly-en-Villette durant quarante-quatre ans, qui a décidé de mettre fin à ses fonctions de maire en mars. Toutefois, ce dernier devient président d'honneur de l'AML.

Les premiers mots du nouveau dirigeant ont été les suivants : « L'AML constitue une structure très importante pour les maires et les présidents d'établissements publics de coopération intercommunale. Elle est un lieu de solidarité et de conseil permanents auprès des maires : elle joue un rôle de formation et d'information ainsi que de représentation vis-à-vis des instances départementales et régionales. »

Des universités thématiques

Frédéric Cuillerier s'inscrit dans la « continuité » de son prédécesseur. « Nous rassemblons les trois cent trente-quatre communes du département ainsi que les structures intercommunales. En dehors de tout esprit partisan. Mon parti, c'est le parti des maires. » La poursuite de « l'efficacité en matière de conseils juridiques » est aussi une priorité de notre interlocuteur. L'association donne 1.200 consultations par an grâce à ses deux juristes.

Autre axe : des rencontres périodiques avec les parlementaires afin de leur faire connaître la position des maires sur les grands projets de lois relatifs aux collectivités locales. Le développement d'universités thématiques irait dans le même sens. Par exemple, la réforme territoriale : « La commune doit rester un lieu fort de proximité et de démocratie. Il est hors de question qu'elle soit dépourvue de la clause générale de compétence. Les communautés de communes doivent intervenir en appui des communes et être une source d'économie par une mutualisation des services. Je défends l'idée d'un partenariat entre l'État et les collectivités territoriales. L'enjeu : offrir un seul et même service public à nos concitoyens. »

12,5 milliards d'euros

Au cours des années 2014, 2015, 2016 et 2017, les dotations de l'État aux collectivités locales (régions, départements et communes) diminueront de 12,5 milliards d'euros. En cumulé, cela représente même une somme de 28 milliards d'euros. « Inacceptable ! » juge Frédéric Cuillerier, d'autant que les communes sont confrontées à une hausse de leurs charges. Les collectivités territoriales contribuent à 70 % de l'investissement public dans notre pays mais ne pèsent que 10 % de l'endettement public. D'où cette conclusion de notre interlocuteur : « La réduction de nos moyens conduira à la disparition de services publics : nous ne pouvons l'accepter. Et c'est aussi une erreur économique puisque cela impactera sur le secteur des bâtiments et des travaux publics, pourvoyeur d'emplois locaux et non délocalisables. »

La composition du comité directeur

Suite à l'élection des membres du Bureau (tous élus à l'unanimité), le comité directeur de l'AML se compose désormais de la manière suivante : président : Frédéric Cuillerier, maire de Saint-Ay. Vice-présidents : Christian Bouleau, maire de Gien, et Jacques Martinet, maire de Saint-Denis-en-Val. Trésorier : Jean-Claude Bouvard, maire de Guigneville. Trésorier adjoint : Hugues Saury, maire d'Olivet. Secrétaire : Bernard Delaveau, maire de Paucourt. Secrétaire adjointe : Nicole Lepeltier, maire de Villemurlin.

Autres membres : Bernadette Absolu, maire de Vimory ; Christian Bourillon, maire de Chevillon-sur-Huillard ; Patrick Choffy, maire de Boisseaux ; Delmira Dauvilliers, maire de Malesherbes ; Jean-Pierre Door, député-maire de Montargis ; Marie-Françoise Fautrat, maire de Nangeville ; Hubert Fournier, maire de Neuvy-en-Sullias ; Georges Gardia, maire de Corbeilles ; Jacques Girault, maire d'Autry-le-Châtel ; Serge Grouard, député-maire d'Orléans ; Pascal Gudin, maire d'Artenay ; Pauline Martin, maire de Meung-sur-Loire ; Philippe Nolland, maire de Pithiviers ; Nicole Pinsard, maire de Boulay-les-Barres ; Claude Renucci, maire de Beaune-la-Rolande ; Jean-Luc Riglet, maire de Sully-sur-Loire.

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